2016-11-22T20:30:03+01:00

La vie s’écoulait lentement de Sen. La douleur laissa rapidement place à une douce confusion mais il sentit son être se détacher de son enveloppe physique, abandonnant derrière lui des images floues et des sons distordus de ses amis accourant à son secours. Avant de quitter définitivement son existence mortelle, il emporta avec lui ce dernier souvenir du corps de Sanya tombant lourdement sur le sol.
Les ténèbres l’engloutirent entièrement. La confusion s’ancra plus profondément dans son âme se dispersant au hasard des couloirs de la mort. Il ne savait rien de l’espace qui l’entourait, du sens ou même de la direction qu’il prenait, il se sentait simplement dériver sans aucun contrôle à travers la noirceur de l’immatériel et seul le désespoir prenait place dans son esprit. Il lutta difficilement, mettant à profit ses années de méditation, d’exercices spirituels et de maîtrise de sa psychée et au prix d’un effort de concentration extrême, la sérénité repris le dessus et chassa le chaos régnant sur son être. Il s’efforça alors de donner corps à ce qu’il restait de son Ki, essayant de se souvenir de ce qu’il était, de qui il était.
Une forme hésitante se dessina au cœur des ténèbres, évoquant vaguement une créature humanoïde. Elle se dissipa rapidement puis réapparu plus lentement, plus soigneusement, dessina des contours plus nets, et une manifestation incorporelle de Sen légèrement translucide et faiblement lumineuse se détacha de l’obscurité. Ses mouvements étaient un peu erratiques mais après quelques essais il sembla maître de son avatar. Il jeta un œil autour de lui et fit face à l’immensité vide et froide de la mort, ne distinguant rien de ce qui pouvait l’entourer. Ne sachant vers où se tourner, il suivi son instinct et courra droit devant lui en s’enfonçant plus en avant dans les ténèbres, sans qu’aucun de ses pas n’emettent le moindre son en frappant le sol probablement inexistant.

Le temps n’avait pas prise en ces lieux dénué de repère et Sen se déplaça durant ce qui lui sembla une éternité. Malgré l’obscurité, sa faible lueur lui laissait entrevoir des ombres incertaines autour de lui. Il pensa d’abord que son imagination lui jouait des tours mais au fur et à mesure de sa progression il croisa des amas de lumière sombre informes et chaotiques presque imperceptibles qui essayaient tant bien que mal d’exister. Il ressentit une profonde tristesse compatissante, se rappelant la difficulté récente de sa propre incarnation.
Il commençait à s’habituer aux ténèbres et distinguait à présent ce qu’il imaginait être au loin les hautes tours d’un manoir, peut être un château. L’idée même que ces lieux ne soient pas qu’un plan totalement vide lui était rassurante et il espérait pouvoir y trouver quelqu’un pouvant l’aider à retrouver ses compagnons si jamais il était encore possible de les atteindre.
Sen s’arrêta soudainement et tourna la tête sur sa droite. Il repris sa course sur quelque pas, puis changea de direction pour suivre une étrange intuition. Après une distance incertaine il senti plus qu’il ne vit une faible lueur tentant difficilement de chasser la noirceur environnante. Il s’approcha lentement pour se pencher sur un tout petit être qui scintilla légèrement quand le moine essaya de le toucher, comme si il faisait écho à sa propre lumière. Il joignit ses mains pour contenir l’essence de la créature et la leva au niveau de son visage. Elle prit lentement forme au prix d’un effort visible et il reconnu dans les motifs éthérés encore chaotiques la jeune Sanya, drapée dans un voile cendrée se désagrégeant au gré d’une brise imperceptible. Ses yeux étaient fermés et son visage dénué d’expression comme si l’épuisement l’avait vidé de toute énergie. Bien que retrouver la jeune femme en ces lieux funestes n’ait rien de joyeux, sa présence le réconforta. S’il ne pouvait plus veiller sur Heckmet, Radoki et Asriel, il s’occuperait au moins de protéger sa dernière compagne. Sen repris sa course en gardant dans le creux de ses paumes celle qu’il n’avait su sauver.

Une seconde éternité passa. Sen ne sentait pas son corps immatériel et la fatigue ne semblait plus être un problème. Il courait toujours, dans l’espoir de trouver une solution à leur situation désespérée quand un vrombissement sourd se fit entendre, brisant le silence de mort qui régnait depuis son arrivée. Une lueur rouge sombre s’alluma au loin quand le sommet d’un pic désormais éclairé déploya ses ailes et fonça à une vitesse prodigieuse sur le moine. Le scintillement de Sanya se fit plus intense et une aura blanche l’anima puis la souleva des mains de Sen. Un vent fort se leva autour d’elle et les mouvements de son voile se firent turbulent. Elle ouvrit lentement ses yeux qui vinrent s’ancrer dans ceux de son compagnon avant de disparaître dans un puissant halo de lumière. Sous le choc de la disparition de son amie, le son tonitruant des battements d’ailes se rapprochant dangereusement lui fit lever le regard sur la créature monstrueuse qui atterrit devant lui dans un fracas assourdissant. Une créature draconique gigantesque couverte de plumes noires de suie et de cornes acérées le dominait de toute sa hauteur. L’intérieur de sa gueule et de ses ailes luisait d’une couleur écarlate étouffée comme si un feu dormait dans sa chair et illuminait les environs d’une teinte oppressante.
Sen fut prit d’une peur panique et sa projection s’amenuisait au fur et à mesure que le dragon terrifiant se rapprochait en faisant trembler la réalité de ce monde au moindre de ses pas pesants. Le monstre s’arrêta à quelques mètres du moine et une voix lente et profonde résonna dans sa tête, chaque mot ébranlant la volonté de l’homme.
“ Ton existence mortelle a pris fin, humain. Je serai témoin de ton passé et juge de ton avenir “

Les ombres autour du moine s’agitèrent dans un chaos étourdissant et il fut enfermé dans l’oeil d’un cyclone noir qui prit peu à peu la forme d’une ville, dressant des bâtiments et des rues pavées sombres qui se remplirent d’êtres fantomatiques luisants réunis sur une place autour d’un Sen jeune adolescent. Les visages n’exprimaient que mépris et la honte s’empara du cœur de l’enfant terrorisé, mais rapidement les murs s’effondrèrent et une créature gigantesque et noir de haine, avide de sang et de mort, émergea des décombres fumants, massacrant sans répit les villageois éthérés dans un carnage sanglant. Désormais jeune adulte, Sen s’enfuit à toutes jambes en trébuchant sur des débris inexistants mais où que se portait son regard, le démon dévorait et mutilait les villageois paniqués tentant de fuir désespéramment. Le moine finit par se recroqueviller sur lui même, la tête enfouie sous ses bras et les yeux fermés. Mais sur l’intérieur de ses paupières il continuait à voir la bête cornue écorchant vif le visage d’une femme aux membres arrachés hurlant de douleur. Un éclat d’or et de rubis se refléta sur les larmes de Sen quand une lueur aveuglante l’enveloppa. Un vent de lumière chassa les ombres de ses cauchemars et, alors que Sen se dissipait lentement dans le halo lumineux, le regard sévère et accusateur du dragon s’inscrit profondément dans sa mémoire.

Sen se réveilla du sommeil de la mort en hurlant. Confus et terrifié, il regardait d’une peur panique les prêtres accomplissant les derniers gestes rituels de résurrection. Son cœur battait à toute vitesse, son souffle était court et il transpirait abondamment. Il jeta des coups d’oeil rapides tout autour de lui et s’arrêta sur le corps ranimé de Sanya. Elle était allongée sur un lit un peu plus loin et semblait épuisée. Leur regard se croisèrent et il se demandait si tout ce qu’il venait de vivre était réel, si elle avait participé à son voyage ou si tout n’était que divagations de son esprit mourant. Il aperçut également les autres membres des voyageurs d’outretombe, visiblement soulagés, avant de sombrer lentement dans l’inconscience.

Le soleil de plomb se décidait finalement à disparaître, offrant à Wati un court répis de fraîcheur. Sen méditait seul dans une des rares cour ayant échappé à la confusion générale de la ville ravagée par l’effusion de mort-vivants. Les visions de cauchemar durant sa courte mort ne quittait pas son esprit. Malgré ses longues années de retraite spirituelle, ces quelques jours parmi les voyageurs d’outretombe dans la nécropole avait suffit à son passé pour le rattraper. Il se remémora les motivations de son voyage et fut plus que jamais résolu à racheter les péchés de ses erreurs lointaines, même s’il sentait encore l’étreinte de la peur saisir son cœur. La nuit était déjà bien avancée quand le moine se releva et quitta son sanctuaire temporaire. Les voyageurs devaient repartir à la recherche de la source de pouvoir nécrotique, et même la mort ne l’empêcherait pas de protéger ses compagnons. Il tenterait d’enfouir au fond de lui les échos de terreur qui résonnaient dans son être pour ne pas les inquiéter.